La morale n'est pas ce que vous croyez
La morale, c’est un sujet qui me passionne. Si on commence à en discuter, on va vite arriver sur ce qu’est le bien et le mal, et autres thématiques qui pourront remplir de longues soirées d’hiver ou vous donner des insomnies. Bizarrement je suis surtout resté du côté philosophique de cette question, me gargarisant des expériences morales de Mr Phi et me documentant vaguement de la pensée de gens qui ont écrits des pavés trop énormes pour que j’ai envie de me les taper. Je parle de toi, Kant.
Et puis un jour un petit bouquin est arrivé dans mon escarcelle : Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal de Stéphane Debove.
C'est vraiment sa miniature de promotion du bouquin. Je soutiens. |
L’auteur
Alors Stéphane Debove… Vous allez rire si vous avez aussi lu l’article sur Peterson… Ben je savais pas qui c’était. Or, ce brave monsieur a une chaîne YouTube nommé Homo Fabulus. C’est un biologiste qui a fait sa thèse dans le domaine de la psychologie évolutionnaire.
Alors comment je suis tombé dessus ? Eh bien il a participé à un Tronche En Live sur la Tronche en Biais qui a fait la promotion de ce livre. Et comme le sujet m’intéresse, vous savez ce que j’ai fait ? je l’ai acheté. Ouais je suis un ouf.
C’est quoi pour vous la morale ?
Le livre s’ouvre de manière assez rigolote parce que
l’auteur nous pose des questions et nous demande d’y répondre sur un bout de
papier. J’ai trouvé l’idée sympathique. Par contre j’étais dans le tram à ce
moment-là et je n’avais pas de bout de papier. J’étais quand même emmerdé que
l’auteur du bouquin m’empêche de lire son propre bouquin alors qu’il n’était
pas fait mention de matériel nécessaire à la lecture. Et puis je me suis rendu
compte que le bouquin lui-même était un bout de papier que je pouvais
utiliser mon smartphone comme bout de papier.
Alors pour commencer cet article, je vais vous poser les mêmes questions qu’on m’a posé.
D’où vient la morale ?
C’est quoi la morale ? A quoi sert-t-elle ?
Pour information, moi j’avais noté ça :
« La morale vient de la société.
C'est un instinct qui met une valeur à ce qu'on voit ou fait.
Elle nous permet de
vivre en société, ou au moins en groupe. »
Moi j’ai fait mes devoirs alors vous aurez l’obligeance de faire la même s’il vous plaît.
Naturalisme, culturalisme, rationaliste
Debove continue ensuite en nous présentant les trois grands courants de l’étude de la morale :
- L’approche naturaliste consiste à expliquer la morale à partir de causes et principes « naturels », au sens biologique, chimique, neurologique. Ici, la morale serait une capacité issue de l’évolution (des espèces, au sens darwinien).
- L’approche culturaliste postule que la morale provient de la culture, et de l’internalisation de normes sociales.
- L’approche rationaliste considère que les individus réfléchissent au monde, aux rapports sociaux et en tirent un ensemble de règles à suivre. Selon eux, la morale est un produit du raisonnement.
Les naturalistes ils voient Darwin comme ça |
Bien sûr, l’auteur nous pose ensuite la question :
Alors bibi, tu te sens plus proche de quel courant ?
De mon côté, à ce stade de la lecture, j’ai noté « team culturaliste ma gueule ! »
La morale comme un sens
Attaquons le livre en lui-même. Alors je ne vais pas tout résumer, juste les points qui m’ont le plus intéressé. Si cet article vous laisse sur votre faim, je vous conseille d’aller vous enfiler un gros kebab, puis d’acheter le bouquin.
En premier lieu, Debove nous explique comment notre moralité fonctionne : de manière automatique car on ne choisit pas d’y recourir, rapide et non consciente. Ces traits de notre moralité la rapprochent d’un sens (des cinq sens : goût, toucher, etc.). En effet, on sent, on ressent, on voit. On peut fermer les yeux, les oreilles ou se boucher le nez, mais on ne pas décider d’arrêter de voir. Ainsi, notre morale ne nous demande pas si on a besoin d’elle : elle nous donne son avis et nous dit que ce truc c’est bien ou mal.
Ce n’est qu’une fois que l’intuition morale est là qu’on essaie de la justifier avec des raisonnements. La preuve c’est que parfois on n’arrive pas à justifier nos intuitions morales, on les a, c’est tout.
Morale algorithmique
Certaines études ont analysé de nombreuses communautés tout autour du globe pour jauger si tout le monde réagissait de la même façon à certaines situations. Réponse : oui… et non. En résumé, il y a des régularités. Par exemple, tout le monde semble prendre en compte l’intentionnalité pour juger si les actes sont bons ou mauvais. Cependant l’importance de ces éléments pouvait beaucoup varier selon les groupes. En clair, tout le monde se préoccupe de ce qui est bien ou mal, mais les réponses varient.
Ces données vont dans le sens… d’un sens moral. Prenons l’exemple du goût. On a tous une langue et la capacité de sentir le sucré, le salé, etc. mais on aura des plats qui nous attireront ou nous repousseront différemment selon notre culture.
Debove nous explique que la morale peut être vue comme un algorithme. On ne comprend pas bien comment ça marche, alors on va dire que c’est une boîte noire. Comme tout algorithme, il a besoin de données d’entrées, et a des données de sorties, qui sont les intuitions morales.
C'est la première image qui sort sur Google quand je tape algorithme et franchement j'ai rien compris |
C’est là que ça devient intéressant : on peut facilement modifier les données de sorties en modifiant les données d’entrées. Ainsi, notre environnement, notre éducation, notre culture, font partie des données d’entrée, mais ne sont pas l’alpha et l’omega.
Deux exemples qui m’ont fait tiquer :
- On peut diviser grossièrement la Chine en deux blocs, le nord qui cultive le blé, et le sud du riz. La culture du riz est beaucoup plus compliquée et nécessite plus de travail. Une famille seule ne pourrait subvenir à ses besoins seuls. Et ainsi, les chercheurs ont identifié que les chinois du sud ont davantage un tempérament « collectiviste » que ceux du Nord…
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Une étude a comparé comment les Etats-Uniens et les Danois
soutenaient les aides sociales. Sans contexte, les Américains considèrent bien
plus que les Danois qu’un allocataire serait par défaut paresseux.
Les chercheurs ont ensuite décrit un allocataire et leur ont demandé s’il devrait ou non bénéficier d’aides.
Dans le premier cas, c’est quelqu’un qui n’a jamais voulu travailler par manque de motivation ; dans le second, quelqu’un ayant subi un accident du travail et n’arrivant pas à retrouver un emploi.
Les deux nationalités se sont mises à rejeter ou à soutenir les aides sociales exactement au même niveau par une simple modification du contexte.
Il n’y a pas que la morale
Bon, maintenant qu’on a dit ça, est-ce que ça veut dire que les gens qui font le « mal » n’auraient juste pas les mêmes données d’entrées que nous ? C’est une possibilité mais il y en a une seconde : ils sont dans un dilemme moral.
Imaginons un pauvre qui vole dans un supermarché, et mettons-nous à sa place : d’un côté, son sens moral lui dit que voler c’est mal. De l’autre, sa loyauté à sa famille lui ordonne de ramener des conserves à la maison. La morale n’est qu’un système mental qui peut entrer en compétition avec d’autres. Notre conscience est un « parlement d’instincts » dont la morale n’est pas toujours la gagnante. C’est là une question de personnalité.
A quoi sert la morale ?
La morale est un système coûteux pour l’individu car il réalise des actions qui peuvent aller contre son intérêt. Dans une perspective évolutionniste, ce n’est pas possible. Aussi, les biologistes considèrent que si nous sommes dotés d’un sens moral, c’est que l’évolution l’a sélectionné. Qu’elle apporte des bénéfices, mais que nous ne voyons pas. Ceux-ci sont discutés par les spécialistes. Parmi les hypothèses évoquées par l’auteur, une qui me plaît bien : avoir un comportement moral permet d’être sélectionné comme partenaire… de ce que vous voulez. Constater un comportement moral chez quelqu’un c’est supposer qu’il va continuer à l’avoir. C’est donc un potentiel partenaire qui ne devrait pas vous la mettre à l’envers à la première occasion…
Plus que ça, la morale est aussi un système permettant la coopération entre les individus, et donc de fonctionner en groupe et sociétés… Ainsi, si un jour nous rencontrons une race d’extraterrestres arrivée à l’ère spatiale, eh bien il est très probable qu’ils aient quelque chose qui ressemble à un sens moral. En effet, pour arriver au niveau de construire des vaisseaux spatiaux, l’évolution a dû les doter d’un système mental qui favorise la coopération. Sur ce point, ils seraient donc plus proches de nous qu’on ne peut l’imaginer.
Comment marche la morale ?
Équipé de sa clé à molette, le mécanicien Debove va ensuite essayer d’ouvrir la boîte noire pour voir ce qu’elle contient.
Sacré Debove, et c'est même pas une clé à molette |
L’auteur est honnête, explique que ça fait débat, mais nous présente la théorie qui emporte sa préférence : celle des coûts d’opportunités. Celle-ci nous vient du domaine économique. Pour résumer simplement, imaginons qu’on est vendredi et que vous avez le choix entre aller au restaurant avec votre compagne ou compagnon ; ou faire une partie de JDR avec vos amis. En choisissant la partie de JDR, votre coût d’opportunité c’est une bonne soirée en agréable compagnie. C’est le « coût » de la seconde option qui n’a pas été retenue. S’ils savent ça, vos camarades de tablée – s’ils sont moraux – essaieront au moins de vous « rembourser » votre coût d’opportunité en vous faisant passer une agréable soirée en leur bonne compagnie.
… Quoi ? Des gens préfèrent aller au restaurant ? Ne dites pas de bêtises !
En clair, l’idée centrale de cette théorie c’est que la morale cherche à rembourser les coûts d’opportunités de ceux qui collaborent avec nous. Ainsi, dans un monde parfaitement moral, nous ne lèserions pas les autres et nous ne serions pas lésés par les autres.
Debove fait boucler cela avec les théories de la justice de Rawls, et notamment l’idée du voile d’ignorance. En clair, si notre vie nous était caché derrière un « voile d’ignorance », que nous ne connaissions rien de ce qui sera notre vie, comment organisions-nous notre société ? En effet, les plus vulnérables devraient être protégés car on pourrait en être un… Cette idée assez abstraite suppose donc que tous les humains aient signé une sorte de contrat, ce qui est très sympathique dans le monde imaginaire des philosophes. Or, le biologiste Debove affirme connaître le nom du signataire : nos gènes. Selon lui, nos gènes auraient mis en place un tel système pour permettre la survie d’un maximum de nos congénères et donc perpétuer l’espèce.
Conclusion
J’ai laissé de côté beaucoup de choses du livre et j’ai sur-simplifié certaines choses. Mais j’espère avoir attisé votre curiosité.
A titre personnel, ce livre m’a foutu une petite claque.
Déjà, il a un bon poids pour se frapper les joues avec. Mais surtout, la morale
pour moi c’était de la branlette intellectuelle pour philosophes, et j’adore
la branlette j’aimais bien ce côté abstrait. Ce livre a fait redescendre la
morale dans le monde réel, physique, dans le bourbier de la réalité. Ça la fait
complètement chuter du piédestal sur laquelle je l’avais mise, mais c’est
très satisfaisant d’en apprendre davantage sur le sujet. Parce qu’avec les
philosophes on n’avance généralement pas beaucoup.
Au final, la morale n’est pas un super mot. Elle peut désigner le sens moral, l’algorithme moral ou bien les intuitions qui sont générés par celui-ci. Ça n’aide pas à la discussion.
Je ne peux que conclure en reprenant l’analogie de la morale
avec le sens du goût.
Parfois, on veut faire un régime. Alors on mange des légumes, plus de choses
saines. Notre goût n’aime pas ça et exige du gras et du sucre. On décide
cependant de passer outre car ce n’est pas ce qui est bon pour nous aujourd’hui.
L’évolution nous a fait aimer ça pour faire face aux périodes de disette, mais
dans notre monde d’abondance, cela se retourne contre nous.
De la même façon, ces jugements moraux qui arrivent dans notre tête sont-ils
vraiment bons pour nous ? Doit-on les prendre au sérieux ? Cela
suppose de comprendre, au moins un peu, comment ces jugements sont générés.
Avec un tel savoir, on peut contextualiser nos intuitions morales et les
remettre en cause si nécessaire. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons vraiment
devenir libres.
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