La Cour des Miracles : un formidable actual play

Il était une fois, sur la planète Terre, une bande de rôlistes cachés dans leurs chaumières. A la faveur de la nuit, enveloppés dans leurs épais manteaux, ils se réunissaient dans un endroit tenu secret où ils pouvaient être eux-mêmes et se racontaient moult histoires. Un jour, l’un de ces vagabonds dit à ses compagnons : « Ce que nous faisons ici est plutôt joli, et si nous montrions au monde l’étendue de notre folie ? » Les compères retirèrent les tapisseries brodées qui cachaient leur repère au reste de la cité, pour devenir un lieu de convergence pour tous les gens de leur espèce. Cet endroit, c’était la Cour des Miracles. Pour vous y rendre…
Prenez la 3e sortie sur la A6, dans le lieu-dit Internet, cordonnées GPS 48°51’32N.

Bref, aujourd’hui je vous parle d’une chaîne d’actual play que j’apprécie beaucoup.

Le logo de la chaîne

La chaîne est encore jeune - moins d’un an le jour où j’écris ces lignes – et comporte une bonne trentaine d’épisodes d’environ 2 heures. Leur campagne en cours est sur Brancalonia et comporte trois saisons – à ce jour encore une fois, je ne lis pas dans l’avenir moi môssieu. Qui sait combien il y a au jour où vous lirez ces lignes ? Et comme je trouve ça bien, je vous en parle, c’est sympa ça non ? Tenez, je vous mets même le premier épisode.

Brancalonia mania

En guise de mise en bouche, parlons rapidement du jeu Brancalonia. C’est un jeu basé sur D&D 5, dans une Italie médiévale fantasmée, où les joueurs jouent des Canailles, des mercenaires-vauriens au sein d’une compagnie à qui on confie des tâches ingrates.

J’aime énormément le ton de ce jeu : loufoque, picaresque, mais pas non plus capillotracté. Ça veut dire tiré par les cheveux, si vous vous posez la question. Il a le goût des soirées entre potes où on jouait à D&D mais on ne jouait pas vraiment des héros… Les joueurs comme les personnages mangeaient et buvaient trop. Voilà un jeu dans le thème. J’avais eu l’occasion de faire jouer le scénario d’initiation, qui figure dans le kit de découverte, disponible gratuitement.

Un malebranche, sorte de tieffelin dans le monde de Brancalonia

Pourtant, ce n’est pas du tout ce qu’en fait la Cour des Miracles. Le ton est respecté, on rigole bien, mais l’intrigue est solide… On se fend la poire sérieusement… Oui, c’est un oxymore, professeur, est-ce que j’ai un bon point ?

Un actual play pico bello

Venons-en à l’actual play en lui-même. Le groupe est clairement branché narrativiste, et en ce moment c’est un peu mon mood également. Cependant ils ne sont pas juste narrativistes, ce sont de très bons narrativistes. Honnêtement en tant que spectateur c’est un régal : il se passe tout le temps quelque chose, les choses avancent. Contrairement à d’autres actual play, on ne perd pas la moitié de la séance sur les combats. Quel bol d’air frais !

Le rythme du jeu est excellent : les intrigues s’enchaînent, les scènes de roleplay s’intègrent dans l’histoire sans forcer. L’histoire en elle-même m’a l’air franchement bien ficelée… mais je réserve tout de même mon jugement car la campagne n’est pas terminée ! Mais bien ficelée ou pas, les scènes climatiques valent le détour, ça part dans tous les sens avec de multiples obstacles à gérer en même temps.

 

Le MJ comme les joueurs sont à tenir comme responsables de cette belle qualité. Côté joueurs, on a de crousillantes interprétations de personnages, on s’attache bien à eux et ils osent se lancer dans ce qui est intéressant narrativement, quitte à se mettre eux-mêmes dans la panade. Et ça j’aime !

Côté MJ, on a un littéraire avec des résumés de séance tout en assonances - un bonbon pour les oreilles - qui propose des personnages hauts en couleurs qu’il incarne avec un plaisir communicatif.

Enfin, l’histoire est très chouette, avec les PJs bien au centre de celle-ci, tout en étant relativement en dehors : en effet nos canailles sont, de par le propos du jeu, médiocres. On les prend pour des vauriens, mais ils changent tout là où ils passent. C’est croustillant à voir.

Illustration sur le compte Twitter de la Cour des Miracles pour l'annonce de la première FAQ, avec nos trois PJs

Pour résumer, cet actual play est une belle source d’inspiration, tout simplement. De plus, ils proposent aussi des FAQ, une par saison, qui sont l’occasion de voir l’envers du décor, comment le scénario est construit et perçu. Vous me connaissez, vous savez que j’adore ces sujets-là. C’est passionnant, bien qu’assez long et ça permet de comprendre comment ils ont…

…Une écriture bellisima

Comme ils le disent, ils avaient envie de montrer leur manière de jouer. Je n’avais encore jamais vu de groupe qui poussait le curseur « narratif » aussi loin, c’est extrêmement intéressant à voir, surtout pour moi qui ne suit pas autant narrativiste qu’eux. Ça m’ouvre des perspectives.

Selon leurs dires, les choses sont plutôt préparées en mode bac à sable : ils laissent tous les jouets dans la chambre, posent les bébés au milieu et voient comment ça se passe. Il serait faux de dire que ce n’est pas préparé, loin de là. Au contraire, les jouets sont réfléchis avec beaucoup d’attention, en revanche c’est l’interaction qui est laissée libre. Libre aussi de surprendre le MJ.

Tout n’est que possibilités et perches tendus. Cela ne marche que parce que les joueurs mordent dans ces accroches à pleines dents. La narration me semble « quantique » : c’est un conseil que John Wick donnait dans 7e Mer (Livre de base 2e édition, p. 282). En gros, il n’y a pas une intrigue, il y a plusieurs possibilités, et on choisit la possibilité qui est la plus intéressante narrativement en fonction des actions des joueurs. Cela permet au MJ de surprendre son monde en sortant les choses de son chapeau au meilleur moment.

Je vous avoue que le MJ m’impressionne tout particulièrement : il est capable de gérer le rythme de la séance mais aussi de toujours rebondir sur les propositions des joueurs. Celui-ci est comédien professionnel, et ça m’a un peu soulagé d’entendre ça. En effet, si on additionne ces compétences avec le temps passé à bâtir l’histoire, on a forcément un niveau élevé à la sortie.
Ce qui me rassure aussi c’est qu’il avoue dans une FAQ qu’après une partie il se dit qu’il aurait pu faire différemment. Ce que je pense aussi régulièrement. C’est sans doute ce genre de réflexion qui nous pousse à nous améliorer.
Il dit aussi que son niveau n’est pas inatteignable, et qu’en JDR il faut beaucoup d’écoute. Merci d’essuyer mes larmes.

Enfin, le MJ a la chance d’avoir un co-MJ. Ils travaillent ensemble sur le lore, les lieux, les personnages et l’intrigue. Sur une de mes campagnes précédentes, j’avais pu profiter des conseils ponctuels d’un ami hors de la partie, mais là on est plusieurs crans au-dessus. Cela doit être un délice de créer un scénario par une discussion, de voir ses idées remises en cause et nourries par un autre point de vue.
Néanmoins ça a l’air d’être du travail ! Tout le monde n’a pas la possibilité d’avoir un tel compère pour sa partie, notamment ce n’est pas mon cas.

Une illustration de Théophile Laurent, le co-MJ

Des conseils molto bene

Au cours des FAQ, le MJ et le co-MJ, qui y participe également, distillent quelques conseils à l’attention des MJs spectacteurs. Je suis donc clairement le cœur de cible ! Je me suis donc permis de noter certains de ces conseils qui m’ont marqué.

  • Colorer les mécaniques dans la narration en fonction du personnage. Dans l’exemple de D&D, la liste de sorts est définie. Une fois les sorts choisis, on les reprend pour voir comment on peut les pimper pour qu’ils ressemblent au personnage, pour qu’ils racontent quelque chose celui-ci.
  • Trouver des justifications roleplay pour les compétences acquises par un gain de niveau. Brancalonia étant motorisé par D&D 5, les PJs montent de niveau. Dans la mesure du possible, il ne faut pas que les nouvelles capacités sortent de nulle part, mais qu’elles aient une justification en jeu. Je mets un bémol selon le rythme de la campagne : les niveaux peuvent monter vite, et trouver des justifications c’est génial… mais ça prend du temps de jeu. C’est notre denrée rare.
  • Si un PJ fait quelque chose de « stupide » mais narrativement intéressant, lui donner un avantage mécanique pour l’inciter. Si un personnage fait un pacte avec le mal, qu’il devient corrompu, etc. Narrativement il paie son choix, mais si par contre mécaniquement on lui donne une carotte ça lui donnera davantage envie de jouer son choix « stupide ».
  • Les PJs sont la chose la plus intéressante, il faut se concentrer dessus autour de la table. Celui-là me fait cogiter. En ce moment, je joue un scénario du commerce, et du coup ça parle de tout sauf des personnages… Je m’interroge à comment permettre aux joueurs de raconter leurs histoires dans un scénario où par définition, les protagonistes sont interchangeables.
  • Le MJ doit se laisser surprendre et aussi découvrir ce qu’il se passe. Vous dites ça à un control freak les gens, vous êtes sérieux ? Honnêtement j’ai envie de dire oui. Oui, bien sûr. Mais je ne sais pas si assoiffé de contrôle comme je le suis, j’y arriverai.
  • L’idée de votre voisin est meilleure que la vôtre. Principe de base du jeu collaboratif. Au-delà du principe, ça signifie aussi qu’il faut aider l’idée du voisin à advenir à la table !

Una conclusione

Je ne peux que vous inciter à vous pencher sur cette chaîne YouTube qui a bien trop peu d’abonnés pour le travail fourni. Ils ne comptent pas s’arrêter à Brancalonia et comptent explorer d’autres jeux et univers, notamment du cyberpunk, du Harry Potter, du far west…

Voilà, j’ai fait le tour. La Cour des Miracles c’est un actual play agréable à suivre, mais aussi intéressant à décortiquer si vous voulez améliorer votre pratique, ce qui n’est pas mon cas, je suis parfait moi bien sûr, tellement que j’ai un blog, hein. [Grottard fait un jet de Persuasion.] Grumpf. Je vais changer de dé.

Commentaires

  1. C'est ultra touchant de voir nos contenus ainsi récompensés par un tel témoignage !
    Ton article fait chaud au coeur, je l'ai lu avec un grand sourire tellement ça fait plaisir de voir ce que ça t'a apporté.
    Et sois sûr que te lire nous apporte tout autant ! ❤️

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