Pirates des Caraïbes : Le Secret de l’initiation au JDR
« Que voyez-vous dans votre longue-vue,
capitaine ?
- Une île d’initiation au JDR, Orlando Bloom !
- Mais non, moi c’est Will Turner, capitaine. Et c’est formidable
non ? Vous en avez déjà fait ?
- Jamais, mon cher Legolas, alors on va accoster et voir ce
qu’il y a de beau ici.
- Je m’appelle. Will. Turner. »
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Le capitaine et Balian d'Ibelin |
Le contexte et les contraintes
Vous n’avez pas compris cette introduction ? Rassurez-vous, ça deviendra clair dans quelques paragraphes…
Il se trouve que j’ai eu l’opportunité de faire une séance d’initiation au JDR à mon travail. Je ne pouvais manquer cette occasion de recruter quelques nouveaux adeptes dans la secte rôliste. Néanmoins, j’avais plusieurs contraintes :
- Nous allions jouer sur la pause de midi, donc j’allais avoir environ une heure avec les joueurs.
- C’était un évènement corporate. Donc, je ne savais ni combien de personnes allaient s’inscrire, ni qui.
- Je ne voulais pas passer trop longtemps à préparer la séance.
- Corolaire des points précédents : je n’avais pas envie de sortir le portefeuille pour acheter des jeux ou des choses pour une durée si petite.
Par ailleurs, comme l’introduction le distille avec brio, si j’ai déjà masteurisé avec des débutants, c’est la première fois que je fais une initiation au sens le plus strict du terme. Cela m’a amené à me poser plein de questions. Et du coup, je vous invite au bord de mon navire pour partager mon expédition vers ma première initiation. Mais si, je vous assure que la métaphore deviendra claire plus tard !
Comment présenter le JDR ?
Comme dit c’était un évènement corporate auquel des gens allaient pouvoir s’inscrire. Il me fallait donc communiquer que j’allais faire une initiation au JDR. La responsable communication avait fait un petit brouillon :
Jeu de rôle : découverte de ce jeu de société coopératif dans lequel chaque participant interprète un personnage et contribue à la création d'une fiction, Grottard vous initie avec des dés !
Ok y a sûrement moyen de faire mieux, non ? Et là, première question : comment on présente le JDR à des gens qui ne le connaissent pas ? Si possible en deux lignes ?
Et ma première réflexion c’est que le jeu de rôle n’est toujours pas très mainstream. Ce n’est pas parce qu’on en parle dans Stranger Things ou Big Bang Theory que c'est clair pour tout le monde. Quand on dit jeu de rôle, les gens ne saisissent pas à quoi correspond cette activité. Jouer à des jeux de sociétés en revanche, ça se visualise bien : des gens autour d’une table, un plateau, des règles.
J’ai donc commencé à chercher comment bien présenter notre hobby. Je suis tombé sur une myriade d’articles plutôt flous, pas très pédagogiques. Honnêtement le meilleur support que j’ai trouvé est une plaquette de Casus Belli qui date de… 1994. Je ne marchais pas encore à l’époque. Je la trouve très claire, mais trop longue, impossible de donner ça.
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Un extrait de la plaquette Casus Belli |
J’ai réussi à trouver des pistes intéressantes dans un article sur la manière de trouver d’autres rôlistes pour jouer, voire recruter des non-joueurs. Et dans ce cas, présenter notre loisir est une étape nécessaire. Quand j’en avais parlé au tout début et qu’on m’a demandé des détails, je me suis retrouvé avec un « Heu alors c’est un peu compliqué à expliquer… ». La pire pub possible.
Au final, j’ai un peu fait mon marché et opté pour la formule suivante :
À la croisée du jeu de société et du théâtre d’improvisation, le jeu de rôle vous propose d’incarner un personnage et de vivre une aventure !
Ça vaut ce que ça vaut, mais l’objectif c’était juste d’avoir une phrase d’accroche pour titiller la curiosité. Certains collègues sont venus me demander des détails, et j’ai eu quatre inscrits. J’allais devoir m’y mettre.
A quoi on joue ?
Vient ensuite, assez naturellement la question : à quoi on joue ? Premier réflexe, j’ai demandé à d’autres rôlistes.
On m’a recommandé Channel Fear, un JDR épisodique contemporain-fantastique (du Cthulhu quoi) pour des séances d’environ deux heures. Honnêtement ça a l’air chouette, mais : c’est payant ; je n’ai qu’une heure ; du Cthulhu comme première approche du JDR ne me paraît pas très accueillant.
Dans l’heroic-fantasy, j’ai trouvé une mini-aventure gratuite dans les Chroniques Oubliées Fantasy. L’aventure est une introduction à d’autres scénarios, et les enjeux très faibles appellent clairement à une suite. Je n’avais pas envie que les joueurs restent sur leur faim de la sorte. Également, ça supposait que je distribue les prétirés en expliquant l’essentiel de ce qu’il y avait sur la fiche, surtout pour les magiciens. Trop long.
Comme rien ne m’allait vraiment, à un moment je réfléchissais à faire jouer une histoire de flics dans les années 80 à Miami… et puis j’en ai parlé à ma femme qui m’a dit que c’était une idée de merde (merci chérie !) et m’a rappelé qu’il y a des années, on avait joué à un jeu idéal pour une initiation : P.I.R.A.T.E.S. Malheureusement ce jeu semble s’être perdu dans les limbes d’Internet. Pas de fiche sur le Grog, ne reste plus que la page Ulule. Quel dommage ! Néanmoins, ce fut l’électrochoc : mais oui, des pirates ! Oui, je raccroche seulement maintenant avec mon introduction. Je fais ce que je veux.
Je suis alors tombé sur un JDR gratuit : Pirates ! qui a l’air prometteur et complètement dans le ton, mais le système ne m’a pas emballé pour une initiation.
Sous quel système on joue ?
Bon, j’avais mon univers : des pirates, les Caraïbes, ambiance grosse déconne. C’est une initiation, et faire rire c’est bien pour donner envie de recommencer. Par contre, pas de système sous lequel faire jouer ça. Comment faire mon capitaine ?
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Le capitaine qui réfléchit en faisant un geste de réflexion |
Le cœur du jeu de rôle
Je me suis donc – encore – posé une question : je n’ai qu’une heure pour cette initiation. Avec quoi je veux que les gens repartent ? C’est quoi la base de la base ? En me creusant un peu les méninges, j’ai identifié deux « règles » du JDR traditionnel :
- Les joueurs incarnent un personnage. Ils décident de leurs actions, mais pas s’ils réussissent ou non. Un joueur est le Maître du Jeu, il incarne le reste du monde, et décide si les actions des joueurs réussissent ou non, parfois en utilisant un dé.
- Le jeu de rôle est une boucle conversationnelle :
- Maître du Jeu présente une situation initiale. Il demande aux joueurs ce qu’ils font.
- Les joueurs agissent.
- Le Maître du Jeu décrit la nouvelle situation. Il demande aux joueurs ce qu’ils font.
- Les joueurs agissent.
- Etc.
Oui, il y a sûrement moyen de mieux présenter ça, je fais ce que je peux. Ces deux règles sont les seules choses que j’ai expliqués aux joueurs sur le comment fonctionne un jeu de rôle.
Un système minimaliste : d6 + Avantage
Vu que je voulais me concentrer sur ça, et ça seulement, je voulais un système minimaliste, qui s’explique en deux vraies minutes (je vous vois, les boîtes de jeu qui disent qu’expliquer les règles prend 5 minutes). Il y en a sûrement pleins sur Internet, mais un ami m’a simplement conseillé de jouer avec un d6 par joueur. Une action nécessite un jet ? De 1 à 3 ça échoue, de 4 à 6 ça réussit. Eventuellement selon la situation, on peut en lancer deux et utiliser le fonctionnement d’avantage/désavantage de D&D.
J’ai pris ça, j’ai rajouté un tout petit twist : chaque personnage a un Avantage. Toutes les actions qui utilisent l’Avantage réussissent. Voilà. Bon, je vous raconte comment ça s’est passé ?
Le résumé des familles
J’avais quatre joueurs : trois hommes et une femme (plus de femmes en JDR s’il vous plaît !). Trois ne savaient pas en quoi consistait le JDR. Le dernier n’en avait jamais fait mais avait regardé Aventures du JDG. J’avais préparé six prétirés : un nom, une phrase de description, et un avantage.
Notre équipage de pirates était donc composé de :
- Jacques le Moineau : pirate avec un bandana, des dreads, il a des doigts de fée
- Barbara Rousse : corsaire à la chevelure écarlate, elle est particulièrement intimidante
- Melusine Bolte : grande femme athlétique, personne n’a jamais réussi à la rattraper
- Hugo Bogoss : français toujours sur son 31, sa beauté obsède tous ceux qu’il rencontre
Le scénario
Nos quatre compères, sous les ordres d’Henri Patte-Blague et sa jambe de bois, capitaine du bateau « la Jambe à Voile » sont dans un tripot de Caillassa Blanca, quand quelqu’un rentre en trombe annoncer que le Grand Jonathan va être pendu et il dit qu’il a une carte au trésor ! Le capitaine exhorte ses sbires à aller chercher cette carte au trésor et qu’il les rejoint (après avoir fini leurs bières).
Sur la place centrale, le groupe arrive alors que le gouverneur Diego de Las Vegas énonce les motifs pour lesquels Grand Jonathan est condamné à la pendaison : effraction et vol de nourriture. Mais le bougre est aussi grand que la potence donc le pendre n’est pas facile, surtout que le bourreau est un stagiaire. Le pendu crie qu’il a une carte au trésor qui sort de sa poche (et elle est visible) et le gouverneur dit qu’il ne faut pas le croire car les truands mentent comme ils respirent !
Nos pirates s’infiltrent dans la foule quand le capitaine Edward Shithappens et sa clique arrive avec l’intention de récupérer cette carte, ce qui génère quelque grabuge. Barbara en profite pour convaincre un des gardes de la potence que les pirates qui viennent d’arriver ont une grosse prime, aussi celui-ci s’élance pour les capturer. Un autre avec un casque trop grand se fait sonner alors qu’il réajustait sa visière. Jacques monte sur la potence, prend la carte au trésor de la poche du futur pendu. Le Grand Jonathan leur demande de l’aider, le gouverneur hurle qu’on se saisisse de Jacques. Celui-ci donne la carte à Mélusine qui s’enfuit à toute vitesse de la place centrale et attire l’attention. Pendant ce temps, Barbara et Hugo sèment la pagaille pour exfiltrer Jacques. Laissant le Grand Jonathan à son sort, tout le monde se retrouve à la taverne alors que leur capitaine sortait à peine de l’établissement, puis l’équipage retourne à la Jambe à Voile alors qu’on commence à leur courir après sur le port.
Après un bref voyage, l’équipage arrive sur l’île indiquée sur la carte. Ils franchissent une forêt et arrivent enfin à une clairière avec un grand rocher, le lieu apparent où le trésor de Jager Munster doit être enfui. Barbara examine la zone et repère un endroit où la terre est plus meuble. Ils se mettent à creuser et finissent par buter sur quelque chose de dur. Quelques pelletés plus tard, le trésor apparaît ! C’est alors qu’apparaît une silhouette fantomatique à côté du trou, se présentant comme Felipe Martinez. Il explique que le capitaine Jager Munster l’a tué pour qu’il ne révèle pas l’emplacement du trésor. Mais il a continué la lutte, et exige sa part du butin, plus son salaire de gardiennage du trésor, sinon attention… qui sait ce qu’il pourrait faire !
Barbara tente de lui faire une Macron (je vous jure il l’a présenté comme ça) : parler beaucoup, avoir l’air concerné et faire des promesses qu’on ne tiendra pas. Mais le syndicaliste fantôme ne s’en laisse pas conter. Hugo Bogoss se met alors à discuter avec le Felipe et l’hypnotise de sa beauté, permettant au reste du groupe de fouiller le coffre. Jacques déverrouille le cadenas, et l’ouvre : le coffre contient des bouteilles de Picon et des fromages très odorants mais c’est tout… Ah, il y a un double fond ! Vide… On casse les bouteilles… Rien ! Puis Jacques examine les fromages, du munster… et voit des bijoux et pierres précieuses mélangés au fromage, dans la meule ! (A la base, je n’avais prévu aucun trésor, mais ils étaient juste trop tristes qu’il n’y ait rien.)
Ils referment l’emballage et montrent le tout au fantôme en disant qu’il n’y a rien. Celui-ci, décontenancé, se rend compte que le grand patronat lui a encore joué un sale tour, puis disparait. Le groupe revient donc au navire, avec le trésor et l’apéro, et lève l’ancre en discutant de quoi faire de ses richesses. FIN.
Conclusion
Tout le monde a apprécié la séance. J’ai notamment eu droit à un explosif « Putain c’est trop bien le JDR en fait ! » qui m’a fait chaud au cœur ! Tout le monde a bien ri et apprécié la partie. Je ne sais pas si je jouerai avec eux prochainement, mais je sens un a priori positif si c’était à refaire.
Ce fut en tout cas un exercice formateur. J’en retiens trois choses :
- Se préparer à présenter et expliquer le JDR à des non-initiés
- Un système plus ou moins minimaliste selon le temps disponible
- Utiliser l’humour comme accroche, il faut que tout le monde passe un bon moment. On verra plus tard pour des scénarios dark.
Et voilà, c’est ça pour moi, le vrai trésor du cap’tain !
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Des bâtonnets de colin et une séance de JDR réussie ! |
Au fait, je n’ai jamais regardé Pirates des Caraïbes… Faudrait peut-être que je m’y mette.
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