Le role-play : l’art du choix et du comment choisir
Ce titre ne veut rien dire. Ou peut-être voudra-t-il dire
quelque chose à la fin de cet article. J’aurai mis du temps à le sortir cet
article. La raison ? Contrairement aux deux articles précédents où il y a de
bonnes ressources en ligne, qu’il me suffit de compulser, annoter, traduire, eh
bien ici le sujet est soit trop vaste soit trop spécialisé. Bref, il m’a fallu
utiliser le peu que j’ai trouvé et réfléchir à la question. Et comme je n'ai pas l'habitude de beaucoup utiliser mon cerveau, ce fut long. Mais nous y voilà. Nous allons parler de role-play et
d’improvisation.
Ce que vous avez lu pour l’improvisation désirée fonctionne
ici aussi. J’ajouterai ceci : faites le plus petit possible. Créez des
conséquences aussi faibles que possible. Si les personnages vont parler à ce
PNJ qui ne sait rien du meurtre sur lequel ils enquêtent et qui n’existait pas
il y a deux minutes, jouez la scène rapidement en faisant comprendre qu’il ne
sait rien. Faire le plus petit possible ne signifie pas nécessairement
petit. Certains choix ont des conséquences titanesques que vous ne pouvez pas expédier
rapidement. Si un des personnages meurt dans les bois, il leur faudra ramener
le corps à la grande ville la plus proche pour trouver un prêtre qui voudra
bien ressusciter leur ami, et éventuellement accomplir une mission pour
celui-ci… Toute une aventure en somme !
Les trois casquettes du maître du jeu
Dans l’article sur l’adjudication, je vous racontai qu’un MJ doit maîtriser trois compétences de base : adjuger les actions de ces joueurs, décrire
les situations et faire des choix pour l’univers. Nous avons déjà détaillé les
deux premiers dans les articles précédents, et ils ont le mérite d’être assez
explicite. Le dernier l’est beaucoup moins. Le role-play comme
nous allons l’appeler est votre capacité à faire agir et réagir l’univers par
rapport aux personnages. C’est votre capacité à prendre des décisions pour
l’univers, et à le modeler au gré de l’avancée des personnages. Cette dernière
casquette consiste donc à décider de ce qu’il se passe. Je le redis encore une
fois : le role-play n’est pas
interpréter ou parler en personnage.
Les liens entre les compétences
Je me suis rend compte maintenant, en traitant de la
dernière des compétences, que je n’ai pas vraiment expliqué pourquoi celles-ci
étaient importantes et comment elles marchaient.
Ces trois compétences se font écho et s’imbriquent l’une
dans l’autre : tout est lié comme on dit.
Tout commence avec la narration, où vous présentez une
situation à vos joueurs. Les joueurs vont y répondre en réalisant des actions.
Vous décortiquez celles-ci pendant l’adjudication et vous décidez si l’action
est un échec, une réussite ou si cela doit être décidé par le dé. Vous
déterminez ensuite le Résultat et les Conséquences de l’action : il s’agit
très précisément du role-play,
comment le monde réagit avec actions des joueurs. Ce changement d’état implique
l’émergence d’une situation nouvelle, qu’il vous faut maintenant décrire aux
joueurs, par la narration. On peut résumer ce processus par le schéma
suivant :
Voyez comment tout s’imbrique parfaitement. Mener une
partie, c’est simplement répéter ce cycle encore et encore. Et comme en tant
que maître de jeu, vous ne pouvez pas
sauter une des étapes, il est important que vous soyez bon dans chacune d’elle.
Maintenant la partie qui rend triste : le triptyque de
compétences adjudication/narration/role-play
pour le jeu de rôle est à peu près le même que celui de
conjugaison/grammaire/orthographe pour la langue française.
Qu’est-ce que je veux dire par là ? On vous a sûrement
déjà dit d’être attentifs à votre écriture, qu’un CV rempli de fautes était
directement jeté à la poubelle, non ? Sûrement vous avez eu ces profs qui
enlevaient des points par faute sur la note finale. Quand on lit quelqu’un,
nous attendons de lui un niveau décent en conjugaison/grammaire/orthographe. Bien
sûr, une faute ponctuelle peut arriver, mais vous devez avoir ces compétences, sinon
on mettra vos œuvres à la poubelle. En fait, si ces compétences ne sont pas
maîtrisées, on ne voit que ça et ça oblitère tout le reste.
Pour le jeu de rôle, c’est pareil : si une des
compétences n’est pas maîtrisée, les joueurs ne voient plus que ça. Qu’importe la
richesse de votre histoire, l’ambiance que vous posez, tout cela volera en
éclat immédiatement. L’abjudication, la narration et le role-play sont ce qu’on peut appeler des compétences de base. Sans
elles, vous ne faites rien. Avec seulement elles, vous ne faites pas
grand-chose. En effet, les grands écrivains et poètes ne se sont pas illustrés
par leur maîtrise de la conjugaison, ce n’était que le socle de leur œuvre.
C’est là le drame de ces compétences : vous devez
cravacher pour les faire progresser mais tout le monde s’en fout parce que
c’est qu’on attend de vous a minima.
Au mieux aurez-vous droit à une petite remarque sur le fait que vos descriptions se sont
améliorés, ou quelque chose comme ça. A l’inverse, manquez-y, et vous serez
catalogué « MJ en carton », cool hein ?
La préoccupation du role-play
Bon, maintenant que je peux renommer mon blog en « Le
MJ dépressif au fond de sa grotte », revenons au sujet du role-play. Parce qu’il y a un truc que
je n’ai pas dit : de toutes les compétences, c’est celle-là qui est la
plus dur à maîtriser. C’est celle-là qui défie vraiment votre créativité.
Autant pour les deux autres, je peux vous donner des méthodes pas à pas, des
guides pour progresser, autant pour cette dernière, le conseil ultime
serait : « Ayez de bonnes idées ». Et malheureusement, je ne
peux pas faire ça.
J’ai donc tenté de disséquer le sujet pour en tirer la
substantifique moelle. Je vous apporte donc mes conclusions, sans pouvoir vous
garantir ni leur pertinence, ni leur qualité. Oui, je vends du rêve, je
sais.
Pour débuter, replaçons-nous dans le contexte : les
joueurs ont annoncé leurs actions, vous venez de décider de la réussite ou de
l’échec de leurs actions, et il faut définir ce qu’il se passe maintenant. Nous
avons vu dans l’article précédent que l’Approche de l’action engendrait les
Conséquences et l’Intention son Résultat. Ça nous donne un point de départ. Les
Conséquences doivent être cohérentes avec l’Approche de l’action : il faut
que cela fasse sens. On ne défonce pas une porte en crochetant la serrure.
Mais les Conséquences doivent aussi être cohérentes avec
l’univers. Si le clerc implore son dieu pour une aide, et que surgit un
vaisseau spatial, ça fait un peu tâche. Ça peut être très drôle, bien sûr. Mais
je doute que les MJs qui font ça se sentent vraiment impliqués dans la création
de conséquences de qualité (mais peut-être que je me trompe !). L’exemple
est bien sûr caricatural, mais a le mérite de soulever le problème. Le role-play
est donc soumis à une double contrainte : il doit être lié à l’Approche de
l’action et cohérent avec l’univers.
La première condition est assez rarement problématique. En
fait, le cerveau humain est assez bien calibré pour échafauder des conséquences
possibles à partir d’une action, mais assez mauvais pour faire inférer un
univers imaginaire dans la réflexion, voire en faire la source de la réflexion.
Voici donc la question que pose cet article : comment assurer la cohérence de notre role-play ?
Cohérent avec l’univers certes, mais aussi avec notre role-play précédent (qui intègre
l’univers automatiquement : le maître du jeu étant celui qui joue
l’univers).
Alors il suffit de vérifier, me direz-vous, et vous
avez raison. Mais il y a deux problèmes : l’oubli et la pression
temporelle. Vos joueurs vous attendent, vous n’avez pas le temps de vous
assurer que ce que vous sortez de votre bouche est cohérent, particulièrement en improvisant
quelque chose. Pire, vous pouvez créer quelque chose de contradictoire, et ce
n’est jamais bon pour l’histoire et le jeu.
L’oubli
Attaquons par le premier problème qui va miner notre
cohérence : l’oubli. Je vais demander aux défenseurs du droit à l’oubli de
sortir de la pièce, car il s’agit ici d’un ennemi à combattre. Et je vous avoue
que je n’ai pas envie de traiter ce sujet. Je ne suis pas un prof qui vous
regardera d’un air terrible si vous ne prenez pas de notes (si, en fait). Si
vous organisez une campagne, démerdez-vous pour garder trace de ce qu’il s’est
passé, et surtout des éléments que vous avez improvisés pour pouvoir les
ressortir de votre chapeau quand vous en aurez besoin.
Personnellement, je vous recommande de faire des notes de
fin de séance : immédiatement après la séance, couchez sur votre papier ou
votre écran ce qui s’est passé et ce qui vous avez rajouté.
Si vous cherchez des conseils plus poussés et variés, je ne
peux que proposer aux anglophones les trois articles suivants : celui-ci,
celui-là et encore lui.
La pression temporelle
L’improvisation n’est pas le cœur de cet article, mais
impossible de passer à côté. Le fait est que vous devez répondre maintenant à vos joueurs, que vous
soyez prêts ou non. Vous n’avez pas le choix. Certains vous diront d’être prêts
à tout, mais je ne suis pas sûr que ce soit le conseil le plus pertinent du
monde, malgré qu’il soit vrai. Si ce qu'il se passe correspond à ce que vous avez préparé, pas de problèmes, mais si vous devez improvisé, vous n'avez pas le temps de vous assurer de la cohérence de ce que vous dites. En fait, il vaut mieux faire quelque chose de pas très cohérent tout de suite que de bafouiller et arrêter le cours du jeu. Question de rythme.
Surmonter les obstacles
Maintenant que nous avons vu ces obstacles, le moyen
d’améliorer votre role-play est de
les surmonter, comme le héros que vous êtes. Et à cette fin, voici enfin des conseils pratiques.
Connaître son monde
Je suis assez fan des Royaumes Oubliés. Alors ils ont plein
de défauts : l’histoire est complètement tarée, ça enfile les stéréotypes
et les repompes à d’autres œuvres comme un collier de perles, mais il en
demeure que c’est un monde très riche.
Utiliser un univers prêt-à-jouer peut être une source
d’inspiration autant qu’un cadre. Connaître la taille et les particularités de
la ville où se trouvent les personnages vous donnera une bonne idée de ce
qu’ils sont capables de rencontrer et de faire. Pour ma part, ça m’aide à cadrer
mon jeu, et ça fait plaisir à ceux qui, comme moi, aiment l’univers. Et je peux
modifier l’univers à la marge si j’en ai l’envie.
Il est tout à fait possible de jouer dans un univers
« générique » avec tous les trucs qu’on peut trouver dans D&D
sans pour autant bachoter. Cette solution vous offre une totale liberté. Vous
pouvez créer votre monde de A à Z, ou créer au fur et à mesure. Dans ce cas, le
risque d’incohérence augmente. Mais si vous vous sentez chaud, allez-y.
Et je le redis encore une fois : connaître son monde
signifie savoir ce que les joueurs et vous y avez apporté, et il faut en tenir
compte.
Connaître le niveau de réponse
Bon, nous arrivons à la partie véritablement expérimentale
de l’article, c’est-à-dire que je n’ai même pas encore essayé de ce qui va
suivre, mais cela m’a semblé pertinent, et je compte tenter de le mettre en
œuvre prochainement. Et c’est maintenant aussi que le titre de l’article prend
son sens.
Vu que je ne peux pas vous expliquer comment avoir de bonnes
idées, je peux par contre vous expliquer à quoi pourrait ressembler une bonne idée. Et la forme de la bonne idée
change la situation, résumée dans le tableau suivant :
Avant d’aller plus loin, quelques précisions sur les axes.
Ce ne sont pas vraiment des catégories définitives, mais des continuums, aussi
il est parfois difficile de rattacher un élément à une catégorie en
particulier. Comme les Esthétiques, cela a plus pour utilité de guider la réflexion
que de l'enfermer.
À
gauche, l’axe préparé/improvisé traduit votre niveau de préparation du role-play. Si vous avez une rencontre
millimétrée du type : « Si ils font ça, il se passe ça », c’est
préparé. Si vous n’avez rien prévu, c’est improvisé. Si vous avez prévu les
grandes lignes, vous êtes quelque part entre les deux.
En haut, l’axe proactif/réactif traduit votre niveau
d’adhésion à une idée. Si c’est un moment où vous menez une scène que vous
jugez passionnante, c’est proactif. Si vous devez traiter les actions des
joueurs qui comme d’habitude font n’importe quoi et les ramener dans le
scénario, c’est réactif. Si les personnages ont de bonnes idées et que vous
essayez de les intégrer dans le scénario, vous êtes entre les deux.
Maintenant que tout cela est défini, il faut essayer de se
rattacher à une de nos quatre catégories. Pour ça j’ai fait un petit schéma (je
pense que maintenant vous savez que j’aime les schémas) :
Je pense que c’est assez clair, mais développons rapidement.
Pour reformuler la première question, on pourrait
dire : Y a-t-il une conséquence immédiate à l’action des joueurs ? Si
non, on va traiter cela plus tard : « Préparation en aval ».
Si oui, est-ce que vous avez envie de broder quelque chose
sur l’action des joueurs ? Ou bien est-ce qu’elle vous saoule au plus haut
point ? Si elle vous inspire, c’est de « l’improvisation
désirée », sinon de « l’improvisation en réaction ».
Vous me direz avec raison qu’il manque une catégorie : la « Préparation en amont ». En
fait si vous êtes dans cette catégorie, vous le savez automatiquement parce que vous maîtrisez votre jeu. C'est seulement dans le cas où vous ne savez pas trop quoi faire qu'il est utile de se poser (très vite) ces questions.
Détaillons maintenant ces quatre catégories et leurs
objectifs.
La préparation en amont
Il s’agit de la catégorie de confort. Quand vous vous
trouvez ici, c’est que vous avez prévu ce qu’il se passe, que vous aviez
anticipé cette action des joueurs et préparé des conséquences liées. Vous buvez
du petit lait, en somme.
L’avantage de la préparation en amont c’est que la cohérence
est généralement assez solide, vous avez réfléchi à la situation et à ses
implications pour la faire correspondre à l’univers, car vous avez eu le temps
d’y réfléchir. Bien sûr, il serait idéal de toujours rester dans cette
catégorie, sauf que c’est extrêmement chronophage de tout prévoir dans
les moindres détails, et les joueurs arrivent toujours à trouver autre chose que les 1000 choses que vous aviez
prévu.
La préparation en aval
Cette catégorie c’est celle de procrastination désirée. Il est
possible qu’une action des joueurs, sans grande conséquence maintenant, en ait
beaucoup dans le futur. Du coup, il n’y a aucune raison de s’ennuyer maintenant
avec ce sujet. Après la fin de la séance, notez ce qui s’est passé, et
réfléchissez tranquillement aux conséquences à tête reposée. On retrouve donc
l’avantage de la préparation, à savoir une cohérence forte.
Il est possible que des conséquences « remises à plus
tard » aient au final un impact plus vite que prévu suite à une nouvelle
action des joueurs, dans ce cas, il faut voir si les conséquences peuvent être
reportées ou non, sinon il va falloir improviser.
L’improvisation désirée
L’improvisation est un exercice périlleux. Il peut se passer
le meilleur comme le pire. Mais si vous avez souhaité développé quelque chose
de nouveau en cours de route, il faut y aller sans crainte. La difficulté de
l’improvisation est qu’elle demande de préparer et d’exécuter en même temps. Et
oui, ça n’a rien de magique, on peut s’appuyer sur des structures et des consignes.
C’est ici que vous risquez de faire un peu n’importe quoi.
Mais je vais vous avouer un grand secret : une
improvisation n’a pas besoin d’être bonne, elle a juste besoin de tenir la
route. Elle doit rester cohérente, quitte à être clichée et avoir un goût de
déjà-vu. Ce n’est pas grave. Faites-vous confiance.
La seule chose réellement importante dans cet exercice est
de savoir pourquoi on improvise. Il faut un motif à tout. Improviser un combat
avec des gnolls, d’accord, mais pourquoi sont-ils là ? Pourquoi
combattent-ils ? Si vous n’avez pas de réponse à ces questions, c’est un
bloc de statistiques qui s’oppose aux personnages. Il n’y a pas d’histoire,
rien à raconter. En ce sens, les rencontres aléatoires dans le sens classique
de D&D sont pathétiques : « Soudain, 3 grenouilles géantes
sautent du marais et vous attaquent ! Jets d’initiative ! » La
raison : elles sont méchantes. Ça passe dans certaines situations, surtout
avec des créatures naturellement assoiffées de sang et de combat, mais pas quand
ça devient un running-gag. Donc, donnez du sens à ce qu’il se passe.
L’improvisation en réaction
Dans cette dernière catégorie, vous êtes entrain de réagir à
vos joueurs qui encore une fois font n’importe quoi. Généralement ce n’est pas
le sommet du fun. Et c’est d’ailleurs là justement que vous courrez les plus
grands risques : vous n’avez pas grand-chose à faire de ce qu’il se passe,
vous voulez passer à la suite et expédier la chose rapidement… Le meilleur
moment pour créer une incohérence.
Néanmoins, il est généralement possible de traiter ce type
d’improvisation assez rapidement : en une ou plusieurs scènes.
Nous pouvons résumer les conseils valables pour assurer la
cohérence du role-play de la manière suivante :
Ne pas changer ses plans
Pour conclure cet article, je vous exhorte à ne pas utiliser
l’improvisation pour changer ce que vous avez préparé. Alors oui, c’est parfois
nécessaire. En menant, on se rend compte que ce qu’on avait prévu était une
idée ridicule et qu’on vient d’en avoir une bien meilleure à l’instant. Ne
suivez pas non plus nécessairement une brillante idée qu’a eue un joueur, même
si vous la trouvez bien meilleure que votre scénario. L’idée est justement de
trouver la bonne solution ! Si la solution change constamment, quel est le
plaisir de la trouver ?
Soyez prudents avec ces réflexions : en effet,
l’intérêt de la préparation est de garantir la cohérence d’ensemble de votre
scénario. En changer certains aspects peut avoir des répercussions sur la
suite. Je ne vous interdis pas de le faire, mais faites-le avec parcimonie.
De manière générale, ce qui a été préparé est meilleur que
ce qui est improvisé.
Et je vais arrêter de faire des articles en plein de parties
maintenant moi.
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